« La prise de conscience sur le sujet de l’équilibre vie professionnelle / vie privée prend de l’ampleur »
En septembre, la MMJ diffusait les résultats de son premier baromètre santé auprès des agents du ministère de la Justice, sur le thème : "La qualité de vie au travail" . Les résultats et enseignements qui en découlent sont mis en perspective dans 4 interviews d’experts Nous vous dévoilons en novembre cette série d'interview autour de 4 grandes thématiques, mettant en lumière l'analyse du baromètre santé par nos experts et leurs pistes pour améliorer la qualité de vie au travail.
Cette semaine, Karine Malara, procureure adjointe au Tribunal judiciaire de Lyon et représentante régionale de l’association Femmes de justice, répond à nos questions sur l'équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, un thème abordé dans notre baromètre santé qui laisse apparaître des équilibres de vie plutôt respectés malgré des disparités fortes suivant les métiers. On fait le point.
équilibres de vie : interview de Karine Malara, procureure adjointe au Tribunal judiciaire
La 1re édition du baromètre sur la qualité de vie au travail des agents du ministère de la Justice, indique que 66 % des sondés déclarent réussir à concilier vie personnelle et vie professionnelle. Que vous inspire ce résultat ?
Ce qui me frappe, c’est que ce chiffre signifie en creux que 34 % des personnes interrogées n’y parviennent pas. Les magistrats, quant à eux, sont 46 % à ne pas y réussir. Les pourcentages de personnes concernées sont à mes yeux très importants.
La question de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle s’avère bien réelle avec, à la clé, des questions de souffrance au travail, de fatigue, de stress ou encore d’absentéisme qui viennent perturber le quotidien du ministère de la Justice et, simultanément, complexifier la vie des agents. Je pense en particulier aux femmes, davantage confrontées à cette situation de déséquilibre, notamment lorsqu’elles ont des enfants en bas âge.
Ces différents sujets font l’objet de réflexions au sein de l’association Femmes de justice qui pense que ce phénomène ne constitue en aucun cas une fatalité et qu’il est tout à fait possible de parvenir à un meilleur équilibre entre temps de travail et vie personnelle.
Quels sont, selon vous, les leviers pour parvenir dans vos métiers à un meilleur équilibre des temps de vie ?
Les agents du ministère de la Justice estiment à 88 % que leur travail est fatiguant. Même s’il y a une part de subjectivité dans ce ressenti, cela pose la question de la charge de travail qui semble de plus en plus lourde. Cela s’explique à la fois par un manque réel d’effectifs, tant du côté des magistrats que des greffiers, mais aussi par les spécificités de nos métiers qui doivent gérer au mieux les affaires en cours de traitement, dont beaucoup ont du retard, tout en faisant face à l’urgence qui est devenue permanente ou presque. Résultat : le temps est et reste difficilement maîtrisable. Et si la situation des effectifs dans les juridictions s’améliore grâce aux recrutements actuels, force est de souligner qu’elle ne corrige pas pour autant le déséquilibre entre vie privée et vie professionnelle.
C’est pourquoi, il faut agir sur d’autres leviers et en particulier sur nos outils de travail qui demeurent pour l’essentiel inadaptés. Comment ? En équipant les magistrats et les greffiers d’ordinateurs portables et d’un accès à distance aux logiciels métiers dont ils ont besoin afin de leur permettre de (télé)travailler dans la coopération.
Les missions de modernisation lancées par le ministère de la Justice devaient nous permettre d’améliorer progressivement la situation.
Justement, comment le ministère de la Justice compte-t-il concrétiser sa réflexion actuelle sur l’organisation du travail et l’équilibre des temps de vie ?
L’une des initiatives les plus intéressantes a été la nomination d’Isabelle Rome en juin 2018 comme haute fonctionnaire à l’égalité femmes/hommes du ministère de la Justice, sujet indissociable de celui de l’équilibre vie personnelle, vie professionnelle.
L’accord cadre du 20 janvier 2020 relatif à l’égalité professionnelle, signé par la garde des Sceaux et les partenaires sociaux, propose 60 actions concrètes afin, notamment, de tendre vers une égalité effective dans les rémunérations et les parcours professionnels entre femmes et hommes et de mieux articuler vie professionnelle et vie personnelle. Ces actions et modes d’organisation ont vocation à être déclinés localement, ce que je trouve intéressant.
Comment voyez-vous évoluer à plus long terme cette problématique de l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle ?
La prise de conscience sur ce sujet prend de l’ampleur, y compris au sein du ministère. L’association Femmes de justice y contribue par ses actions et ses rencontres.
Sur un plan pratico-pratique, nous nous efforçons, au parquet, de prendre en compte les contraintes de chacun et aménageons, quand nous le pouvons, les temps de présence de celles et ceux qui ont besoin de souplesse, sans nuire pour autant à l’efficacité collective.
La question de la mobilité, qui constitue encore aujourd’hui la condition sine qua non pour évoluer professionnellement, doit faire l’objet d’une réflexion puisque tout le monde ne peut pas ou ne veut pas changer de région, y compris les hommes qui sont moins enclins qu’autrefois à être mobiles.
Enfin, je pense que la formation et le coaching des jeunes recrues sur ces questions d’équilibre de temps de vie contribuera à faire changer les choses positivement.
Pour aller plus loin
Consultez les chiffres du baromètre santé sur la question de l'équilibre de vie personnelle et vie professionnelle.