Les nudges : ces outils pour suggérer les bons comportements sont-ils réellement efficaces ?

Le nudge, qui signifie « coup de pouce », désigne un outil discret conçu pour modifier les comportements. Il peut s’agir de marches d’escaliers peintes comme les touches d’un piano, pour inciter les voyageurs du métro de Stockholm à délaisser les escalators et à pratiquer un peu d’activité physique, ou encore d’assiettes de cantine plus petites pour limiter les portions de nourriture et éviter le surpoids. 

Les nudges sont de petits signaux qui tentent de changer nos habitudes sans que l’on y prête une attention particulière. « Ils influent sur l’architecture de choix de l’individu en jouant sur les biais cognitifs, ces mécanismes de pensée qui pèsent sur nos décisions », explique Henri Bergeron, sociologue à Sciences Po Paris, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et co-auteur du Biais comportementaliste, paru aux Presses de Sciences Po en 2018.

Des outils séduisants…

Cette approche est née dès les années 2000, mais son origine est plus ancienne. « Le concept se rapporte plus ou moins strictement à l’économie comportementale, qui cherche à expliquer les comportements des individus, et qui s’est inspirée de travaux de psychologie sur les biais cognitifs, indique Henri Bergeron. Le terme a ensuite été popularisé par deux auteurs américains, Cass Sunstein et Richard Thaler, qui ont publié en 2008 Nudge, un best-seller sur le sujet. »

Depuis, les nudges fascinent et ils sont utilisés dans de nombreux domaines : le marketing bien sûr, mais aussi dans les politiques publiques. « Ils sont très séduisants de prime abord, confirme le sociologue. Ils coûtent peu chers et ils ne nécessitent pas de modifications importantes de l’environnement ou des organisations car ils ciblent des déterminants individuels des comportements. »

… mais qui soulèvent des questions éthiques

Or, leur utilisation pose des questions sur leur caractère éthique, et ce particulièrement dans le domaine de la santé. « Les nudges utilisés à des fins de prévention santé par exemple constituent-ils une forme de manipulation acceptable ou pas ? », interroge Henri Bergeron. Certes, ils sont censés défendre une bonne cause : adopter les bons comportements pour rester en bonne santé le plus longtemps possible.

« Mais qui définit le bien public ? », questionne le spécialiste. D’autres critiques pointent l’aspect paternaliste ou infantilisant de ces outils. Enfin, ils ne prennent pas en compte certains aspects qui influent sur les décisions comme les conditions socio-économiques de vie de certaines populations.

Utiles mais des effets limités

Quant à l’efficacité des nudges, elle est variable. « Pour fonctionner, ils doivent agir à votre insu », précise Henri Bergeron. Une fois que l’on a découvert le mécanisme, la magie disparaît et les effets peuvent se dissiper. Leur durabilité dans le temps est donc limitée.

Par ailleurs, l’aspect émotionnel semble jouer. Une méta-analyse réalisée par l’Institut européen d’administration des affaires de Fontainebleau a montré qu’un outil comme le Nutri-score – qui résume les informations nutritionnelles d’un produit via un code couleur et qui fait appel à la réflexion du consommateur – serait moins efficace pour faire changer nos comportements alimentaires que les incitations au plaisir de manger.

Tout n’est cependant pas à jeter. « Les nudges sont des outils complémentaires, considère le directeur de recherche. Ils peuvent être utiles pour apporter un plus au sein d’une politique globale de prévention en santé, qui prend notamment en compte tous les déterminants sociaux de la santé. »