Témoignage : Retour au travail après un arrêt maladie prolongé
Reprendre une activité professionnelle après un arrêt maladie de longue durée peut se révéler plus compliqué qu’il n’y paraît. François, la cinquantaine, en a fait l’amère expérience. Un an après une lourde intervention chirurgicale, il témoigne des difficultés rencontrées.
Dans quelles circonstances avez-vous été amené à cesser de travailler ?
J’ai arrêté de travailler à la suite d’une opération chirurgicale délicate. Cela faisait douze ans que j’étais suivi médicalement et je savais que, tôt ou tard, une intervention serait nécessaire. Mais au quotidien, je n’y pensais pas vraiment. Hormis un contrôle obligatoire deux fois par an et l’interdiction de pratiquer une activité sportive ou de porter des charges lourdes, je vivais tout à fait normalement. Surtout, ma maladie n’avait aucun impact sur mon activité professionnelle, par ailleurs bien chargée.
Et puis il y eu l’annonce de mon médecin à la suite d’un contrôle de routine : mon état de santé s’était dégradé, il fallait que je me fasse opérer.
Comment s’est déroulée l’intervention ?
L’opération a duré plusieurs heures, suivie de trois jours en soins intensifs. En tout, j’ai été hospitalisé pendant un mois et demi. Ensuite, j’ai suivi une rééducation durant deux mois à l’hôpital avec des activités sportives quotidiennes, aussi bien de la gym, du renforcement musculaire, de la marche à pied, le tout encadré par une équipe médicale. On était une dizaine de patients, on se motivait les uns les autres. Pour quelqu’un comme moi qui n’avait pas fait de sport pendant des années, s’y remettre n’était pas évident. Mais il y avait une bonne ambiance.
C’était plus compliqué, en revanche, quand je rentrais à la maison après les séances. Je ne m’étais jamais arrêté de travailler de toute ma carrière et tout à coup, je me retrouvais en arrêt de travail ! Ça m’a procuré un sentiment de culpabilité qui s’est encore accru une fois la rééducation terminée. Votre femme part le matin travailler et vous, vous restez à la maison. Ce n’est pas simple à gérer ! Vous vous sentez mis à l’écart, inutile d’une certaine façon… Aujourd’hui, je me rends bien compte que cette culpabilité n’était pas justifiée, mais à ce moment-là, j’avais du mal à le comprendre.
Vous aviez hâte de reprendre le travail ?
Disons plutôt que j’avais envie de retrouver le statut social qu’apporte le travail, de revoir mes collègues, au fond de reprendre le cours de ma vie. Et en même temps, je ressentais une inquiétude à l’idée de retourner au boulot. Ce qui est assez perturbant après une telle opération, c’est que vous vous sentez en forme à certains moments de la journée, presque rétabli, vous avez l’impression d’être prêt à retravailler. Et puis, à d’autres moments, vous êtes si fatigué que vous n’avez pas d’autre choix que de vous coucher et dormir. C’est une fatigue qui va et qui vient.
Avant de retravailler, vous avez vu les médecins, que vous ont-ils dit ?
À la fin de mon arrêt maladie, j’ai consulté mon généraliste et le médecin du travail qui, tous les deux, m’ont conseillé un mi-temps thérapeutique. Mais cette option ne me convenait pas, je préférais reprendre à plein temps car je pensais qu’un mi-temps me forcerait à travailler davantage dans un temps plus réduit, ce qui, me semblait-il, aurait été plus stressant. Je croyais vraiment être capable de reprendre mon ancien poste dans les mêmes conditions qu’auparavant.
Comment s’est passé votre reprise ?
Ma direction et mes collègues été très bienveillante à mon égard. Les premiers jours, j’ai même été accompagné par une personne pour me montrer ce qui avait changé ou évolué en mon absence. Mon gros souci, c’était la fatigue. Je sentais que je n’avais plus le dynamisme qui était le mien avant l’opération, aussi bien intellectuellement et physiquement. Le travail était devenu difficile à tenir.
Vous vous en êtes rendu compte rapidement ?
Ça s’est manifesté dès le premier jour, mais je n’ai pas réalisé tout de suite que ce serait aussi compliqué. Je me disais qu’il fallait que je reprenne le rythme. Après tout, ça faisait plusieurs mois que je n’avais pas travaillé, ça me paraissait donc normal… J’étais persuadé que ça allait passer. Et finalement, une fois le rythme repris, je me suis rendu compte que ça n’était plus comme avant. Je n’avais plus suffisamment de force pour faire face à toutes les tâches qui m’incombaient. Cette fatigue lancinante, à la fois psychologique et physique, me minait.
Avez-vous pensé à changer de poste à ce moment-là ?
J’ai commencé à l’envisager sérieusement trois mois après la reprise. Jusque-là, j’étais plutôt discret sur ce que je ressentais physiquement et psychologiquement, mais cela ne trompait personne, mes collègues se rendaient bien compte que quelque chose n’allait pas. Finalement, j’ai décidé de manifester ma difficulté à faire le job. Je n’avais pas trop d’idées sur le poste qui aurait pu me convenir, mais il fallait que je trouve une solution. Je ne pouvais pas continuer indéfiniment à faire l’autruche ! Et puis j’avais peur pour ma santé. J’ai donc pris rendez-vous avec la direction des ressources humaines. Et là, il n’a même pas été question de changer de poste : ils m’ont trouvé tellement fatigué qu’ils m’ont proposé de retourner en congé maladie.
Votre erreur, finalement, c’est d’avoir repris trop vite…
Je pense, oui. J’aurais certainement dû reprendre beaucoup plus tardivement et en mi-temps thérapeutique, comme on me l’avait conseillé. Et peut-être à un autre poste, moins stressant. Lorsqu’il y a des difficultés, vous vous sentez beaucoup moins fort pour les affronter et les résoudre. Avant mon opération, on m’avait prévenu que je serais fatigué, que je mettrais un an ou un an et demi pour me remettre. Mais je ne l’entendais pas, j’avais presque l’impression que c’était du baratin ! Et puis, je pensais surtout à l’intervention elle-même, pas tellement à l’après. Il y avait quand même un risque que je reste sur la table… En réalité, je me suis surestimé, c’est vraiment l’erreur que j’ai faite. Ça va faire un an que j’ai été opéré et je commence seulement à me sentir un peu moins fatigué. Et je suis toujours en arrêt de travail.
Moralement, comment vous sentez-vous ?
Lors de mon second arrêt de travail, j’ai fait une dépression qui, en réalité, avait commencé quelques mois après mon retour au boulot. C’est arrivé lentement, je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Aujourd’hui, je prends un traitement, je vais mieux. Mais là encore, j’ai eu du mal à accepter l’idée de prendre des médicaments.
Je trouvais humiliant de ne pas être capable de m’en sortir tout seul. Aujourd’hui, j’en parle librement, je me sens mieux moralement, la fatigue est moins présente, mais je reste prudent. Les médecins m’ont bien expliqué qu’on ne réglait pas ce genre de problème du jour au lendemain.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
J’avoue que je ne sais pas encore, je suis dans une période d’incertitude. Je ne sais même pas ce que j’aimerais faire. Ce sont les semaines qui viennent qui me permettront d’y voir plus clair. Vais-je reprendre une activité à un autre poste, je n’en sais rien. J’ai rendez-vous avec mon médecin prochainement. On verra.
Propos recueillis par Jean Simon (Tribune Santé)