Quand les animaux soignent les victimes de traumatismes
Directrice médicale de l’Institut de victimologie, Delphine Morali-Courivaud a développé, pour ses patients souffrant d’un trouble de stress post-traumatique, un programme thérapeutique autour de l’animal. Mais contrairement aux zoothérapies classiques, où les animaux sont éduqués à la médiation, les chiens et les chats choisis par la psychiatre sont aussi des « patients » victimes de traumatismes.
« Aujourd’hui grâce aux thérapies cognitives et comportementales (TCC) nous arrivons à soigner de plus en plus de symptômes du trouble de stress post-traumatique (TSPT), comme les cauchemars ou les flash-back. Mais les difficultés sociales et affectives rencontrées par les patients ayant vécu un traumatisme, et l’isolement qui en découle, restent encore difficiles à apaiser », constate la psychiatre Delphine Morali-Courivaud. Pour tenter de recréer du lien et d’atténuer cette sensation perpétuelle de danger immédiat au contact d’autrui (appelée l’hypervigilance), qui poursuit ses patients, la directrice médicale de l’Institut de victimologie a eu l’idée d’expérimenter un projet autour d’un acteur sécurisant : l’animal. « Lorsque je leur demandais ce qui pouvait leur apporter un peu de sérénité, ils me parlaient de leur chat ou des balades avec leur chien, devenues souvent les uniques sorties en dehors du travail. »
Expérimentée en France dès l’émergence de la psychiatrie au XVIIIe siècle, la médiation animale est employée de plus en plus par des professionnels de santé. Mais, à ce jour, très peu d’études françaises existent sur l’impact de la pet-thérapie auprès de patients qui souffrent d’un trouble de stress post-traumatique. Elles représentent moins de 2 % des études publiées sur le sujet. Contrairement aux thérapies à médiation animale classiques où les animaux sont formés et éduqués à l’accompagnement de patients spécifiques, ici les chiens et les chats choisis par le docteur Morali-Courivaud sont aussi des « patients ». « Je connaissais un refuge en Normandie qui s’occupe notamment d’animaux ayant vécu un traumatisme, un lieu immense qui s’étend sur une centaine d’hectares. Situé en pleine nature et bien loin du tumulte de la ville, cet endroit nous a paru tout à fait adapté. »
Des animaux à réconforter
La situation géographique du refuge, la rencontre avec des animaux bien moins menaçants pour eux que des humains et le bénéfice, voire le réconfort, qu’ils pourraient eux-mêmes apporter à ces chiens et ces chats traumatisés sont les raisons positives pour lesquelles les patients de l’Institut de victimologie acceptent de suivre le projet de la directrice médicale et de son équipe. Un groupe de six personnes, âgées de 25 à 60 ans est alors constitué. Avec leurs thérapeutes et le docteur Morali-Courivaud, ils iront à dix reprises dans le refuge normand pour passer du temps avec ces animaux. Sur place, une promenade encadrée est prévue avec un chien qui leur sera spécifiquement attribué, et ils iront ensuite passer du temps dans la chatterie : « un grand parc peuplé de nombreux chats, où l’on s’occupe d’eux, en les brossant et les câlinant », explique la psychiatre avant de préciser que ce programme a remporté l’appel à « Projets innovants de médiation animale en France » de la fondation Affinity, ce qui a permis de financer l’opération.
Une inquiétude demeure toutefois. Les patients redoutent les trajets en compagnie d’individus qu’ils ne connaissent pas. « Leur hypervigilance les amène souvent à redouter les transports en commun. Nombreux sont ceux qui ne prennent plus l’avion, le train ni le métro. Alors se retrouver dans un minibus de neuf places, toutes occupées, avec des inconnus, constitue une véritable source d’angoisse pour eux », raconte Delphine Morali-Courivaud. Lors du premier voyage vers la Normandie, la grande majorité des passagers est plutôt crispée. Mais dès le trajet de retour l’atmosphère est grandement détendue.
Un véritable lien créé entre les patients et l’équipe des soigneurs
« Les choses sont allées beaucoup plus vite que prévu et dans un sens tellement positif ! Ce que nous n’avions pas vraiment anticipé est le contact direct noué avec les soigneurs du refuge. L’un de mes patients m’a même confié à la fin de la première séance qu’il s’était surpris à discuter normalement, de tout et de rien, avec l’un des collaborateurs du lieu. Ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps… Un véritable lien s’est créé avec l’équipe sur place. » En présence de leur thérapeute, dans un lieu sécurisé et auprès d’animaux au vécu particulier, les patients ont de nouveau eu la sensation d’avoir une place au sein d’un groupe et auprès d’autres êtres vivants dans une situation de besoin affectif et matériel. Le contact physique avec les chiens et les chats a également permis cet « apprivoisement mutuel ».
Du côté des animaux, l’acclimatation a également été saisissante. Notamment pour un Jack Russel d’ordinaire plutôt déchaîné et bondissant. « Ce n’était pas prévu, mais le patient qui devait l’emmener en balade venait de se faire opérer de la hanche et avait donc une béquille. Contrairement à toute attente, le chien s’est très tranquillement posé à ses pieds. Les soigneurs n’en revenaient pas, ils ne l’avaient jamais vu aussi calme. Et pendant la promenade, le Jack Russel a marché si lentement que son accompagnant n’avait même plus de besoin de béquille », se remémore Delphine Morali-Courivaud avec émotion en ajoutant que les patients n’attendent désormais même plus la prochaine séance pour se rendre au refuge, ils y vont en co-voiturage sans thérapeute.
L’Institut de victimologie a pour mission l’amélioration de la prise en charge des victimes qui ont subi un traumatisme psychologique. Créée en 1994, cette association vise à promouvoir le traitement précoce et spécifique de ces victimes.
Institutdevictimologie.fr.