Regards croisés : « Les policiers veulent que la réalité de leur métier se sache »

Témoignages croisés de Marc Niño et Sabine Grégoire

Tous les deux, vous côtoyez le quotidien des policiers. Aujourd’hui, quelle est la cause principale du mal-être de la profession ?

Sabine Grégoire : Plusieurs facteurs de risques de mal-être potentiel sont identifiables: les facteurs institutionnels et les facteurs personnels et individuels. Souvent, le métier de policier est un métier à vocation. Les personnes qui l’exercent ont de très fortes valeurs et quand ces valeurs sont mises à mal par un système qui devient de plus en plus gestionnaire, on en arrive à avoir un terreau de souffrance. Une autre illustration est un nombre de tâches confiées aux policiers, tâches qui pourraient être effectuées par d’autres services ou institutions, ce qui permettrait un retour à ce qui donne sens à leur travail. La souffrance est souvent psychosociale, c’est-à-dire qu’elle s’articule entre le psychique et l’environnement de travail.

Marc Niño : D’après les témoignages que j’ai recueilli, le quotidien professionnel des policiers impacte leur vie personnelle. Par ailleurs, la hiérarchisation n’est pas toujours bien comprise et les directives sont parfois peu claires. Les changements rapides de la société obligent la police à s’adapter, mais comme pour toutes les institutions cela demande du temps. Le bilan qui sera fait sur la gestion du respect du confinement puis du déconfinement, en rapport au Covid-19, dont ils ont aussi eu la responsabilité, sera l’occasion de constater l’ampleur et la difficulté mais aussi la nécessité de leur tâche. Point positif, dans tous les témoignages les policiers souhaitent que les choses avancent et continuent de défendre leur métier en espérant des changements.

La vocation pour ce type de métier, l’implication forte, semblent être des points déclencheurs d’un malaise particulièrement prégnant dans cette profession. Pouvez-vous nous en expliquer les mécanismes ?

M.N : De nombreux policiers disent qu’ils rentrent dans leur métier par vocation, ou par lien familial. Pour certains c’est quasiment viscéral. Pour moi, cette vocation n’est certainement pas anodine et il y a sûrement des analyses à en tirer.

S.G. : Je ne parlerais pas de déclencheur, mais plutôt d’un facteur de protection qui peut parfois devenir un facteur de vulnérabilité. Une personne qui entre par vocation dans la police nationale y entre parce qu’elle vient y nourrir des valeurs. Ces valeurs sont des valeurs identitaires. Au-delà de la notion de service public, il y a une véritable notion de « je me construis par rapport à mon métier ». Cela peut créer des fragilités, car, de cette vocation exacerbée, peut naître un manque de lucidité sur la nécessité d’équilibrer ses différents domaines de vie. Ce surinvestissement peut être très porteur, mais aussi très délétère, si un grain de sable venait à contrarier ces valeurs fondamentales, comme par exemple des missions dénuées de sens par rapport à la vocation initiale.

Vous œuvrez tous les deux pour une meilleure reconnaissance du métier, quel retour recevez-vous des professionnels ?

M. N. : Les policiers veulent que la réalité de leur métier se sache. Cette envie de faire savoir, de dire, d’être écouté est primordiale. J’ai l’impression que le manque de reconnaissance de ce métier vient aussi de la population et pas seulement de la hiérarchie et de l’institution. C’est d’ailleurs l’objet de mon livre : ouvrir les yeux au grand public en l’informant d’une réalité qu’il ne veut ou ne peut voir ; faire prendre conscience que policier, c’est d’abord un métier où l’Humain est à la base de l’engagement.

S.G. : Pour moi, il y a une vraie quête de sens. J’entends par là pas seulement une quête de sens par rapport au métier et à son utilité, mais aussi par rapport aux orientations politiques et stratégiques de l’institution.

Quels parallèles entre les métiers de la justice et de la police avez-vous pu observer ?

M.N. : Ce sont deux mondes qui s’observent et se heurtent parfois, mais qui doivent apprendre à travailler ensemble car de toute façon ils n’ont pas le choix, mais pas seulement….

S. G. : Il s’agit de deux cultures assez marquées. Mais il existe des facteurs de risques assez similaires. Pour les magistrats, par exemple, il s’agit aussi de carrières choisies. Ce sont également des métiers à forte vocation et des métiers très exposés, pour lesquels les personnes ne sont pas toujours préparées psychologiquement, notamment faire face à la violence sociétale et institutionnelle qu’ils vont rencontrer au quotidien.

Comment pensez-vous que la mutuelle puisse mieux accompagner ces publics ?

S.G. : La mutuelle pourrait mener des actions de sensibilisation ou de formation. Un exemple : expliquer ce qu’est l’état de stress post-traumatique, les facteurs de protections et les facteurs de risques, ce qui permettrait aux policiers, quelque soit leur grade, d’être vigilants par rapport à leurs collègues, mais aussi de comprendre ce qu’ils peuvent ressentir ou ce qui risque de leur arriver. Comprendre, informer, sensibiliser, c’est déjà prévenir. Je pense ensuite à toutes les actions de prévention sur les risques psychosociaux, les sujets de harcèlement ou encore le suicide. Par ailleurs, si la mutuelle peut aider la police à communiquer sur son essence même, sur la vie dans son institution, sur ces projets, sur ces métiers, ce serait très bénéfique pour sortir de la communication grand public faite actuellement, peu représentative des réalités. Je pense notamment à l’active participation de la police dans la gestion de cette crise du Covid 19.

M.N. : Les mutuelles ont tout intérêt à s’intéresser à ces sujets, car en adhérant on ne choisit pas seulement une protection mais aussi de l’écoute et de la sensibilisation. Sensibiliser c’est déjà prévenir, et prévenir c’est déjà aider.