Entretien avec Charlotte Siney-Lange, historienne spécialiste de la mutualité
Historienne spécialiste de la mutualité et de la protection sociale, Charlotte Siney-Lange a conduit un important travail de recherche afin de préfacer l’ouvrage publié par la MMJ pour commémorer son 80ème anniversaire.
La Mutuelle des métiers de la Justice et des métiers de la Sécurité est née dans une période pour le moins troublée. Comment cela s’est-il passé ?
Charlotte Siney-Lange. En effet, la Société de secours mutuels et d’entraide du personnel dépendant du ministère de la Justice (qui deviendra la MMJ en 2020), naît le 1er février 1944, en pleine occupation. Si ce contexte peut paraître peu propice, le régime de Vichy a en réalité pour ambition de stimuler l’implantation de groupements mutualistes, en particulier dans la fonction publique, afin que chaque corps ministériel possède sa mutuelle.
Le contexte matériel, marqué par les bombardements et la pénurie, n’en reste pas moins difficile. De plus, en 1945, la création de la Sécurité sociale rebat les cartes de la protection sociale. Que va devenir le mouvement mutualiste ? En fait, les mutuelles de la fonction publique s’adaptent assez vite et intègrent le système dans un cadre spécifique, en devenant gestionnaires pour le compte de la Sécurité sociale.
Le mouvement mutualiste témoigne ensuite d’une phase de forte croissance dont profite la MMJ, qui connaît une phase florissante…
Les Trente Glorieuses sont marquées par une explosion des dépenses de santé et une affluence d’adhérents dans un environnement peu concurrentiel. Les fonctionnaires choisissent de façon quasi automatique la mutuelle de leur corps ministériel. A cela s’ajoute la bienveillance des pouvoirs publics, qui accordent des subventions aux mutuelles de la fonction publique.
La MMJ se démarque-t-elle par certaines spécificités ?
Dans une période de grande innovation sociale, la MMJ intègre un mouvement plus large, qui émerge alors en mutualité, marqué par une attention pour les plus fragiles, en particulier les personnes âgées, avec l’acquisition du domaine de la Blairie, transformé en maison de retraite. Elle soutient aussi les personnes en situation de handicap à une époque où le sujet suscite l’indifférence générale dans la société. Ainsi, la participation aux frais de séjour en établissements de vacances est complétée par la souscription de places dans des structures spécialisées.
A partir des années 80, les défis succèdent aux défis…
Entre la crise économique, un système social fragilisé et l’avènement du lucratif, le mouvement mutualiste connaît une ère plus difficile. Les adhérents vont voir ailleurs, les valeurs de solidarité et d’égalité sont battues en brèche… Alors que l’Union européenne met en œuvre les principes de la libre concurrence, plusieurs réformes du Code de la Mutualité interviennent. Elles mettent progressivement fin à la position quasi-exclusive des mutuelles dans la protection sociale complémentaire et les soumettent à des règles financières très lourdes qui entraînent un mouvement de concentration extrêmement rapide. Si la MMJ relève ces défis les uns après les autres, elle connaît un véritable choc en 2016 lorsqu’elle perd son référencement auprès du ministère de la justice au profit d’une autre structure. Un moment difficile, mais là encore assez vite surmonté.
En qualité de spécialiste de la mutualité, quel regard portez-vous sur le passé de la MMJ ?
Sa capacité à rebondir illustre bien l’histoire d’un mouvement mutualiste très ancien qui, bien qu’ayant été interdit par la loi Le Chapelier de 1791, a toujours perduré. Il a su faire face à des enjeux cruciaux au fil des décennies et surmonté tous les chocs : création de la Sécurité sociale, ouverture à la concurrence dans le contexte européen, crise économique et émergence de la protection sociale lucrative…
80 ans auprès des femmes et des hommes de justice
Cet ouvrage, publié par la MMJ à l’occasion de son 80e anniversaire, met en lumière des décennies de solidarité et d’entraide au service de la communauté des femmes et des hommes de la justice. Il fait la part belle à tous ceux qui incarnent l’esprit de la mutuelle et poursuivent l’écriture de cette belle histoire.
Vous pouvez le consulter en ligne en cliquant juste ici :