Alcool : quand travailler chez soi augmente les risques d’addiction
Avec la crise sanitaire, beaucoup de salariés ont découvert les avantages, mais aussi les inconvénients, du travail à domicile. Ce télétravail forcé visant à limiter les risques de contamination a modifié les habitudes et les comportements. Qu’en est-il des pratiques addictives, et de la consommation d’alcool en particulier, par laquelle notre pays s’illustre bien trop souvent ?
Les récents confinements ont accéléré la pratique du télétravail. Si ce dernier a permis de réduire les risques de transmissions de Covid-19 ainsi que les temps de transport, il fait craindre en revanche une augmentation de toutes les formes d’addiction chez des salariés déjà fragilisés. Un sondage réalisé en 2020 par l’institut Odoxa pour le cabinet GAE Conseil, spécialiste de la prévention des pratiques addictives en milieux professionnels, révèle que trois-quarts des Français estiment que le télétravail accroît les pratiques addictives. Mais qu’en est-il réellement ?
Un contexte sanitaire propice aux consommations à risque ?
Un grand nombre de facteurs de risque sont réunis : l’isolement, l’éloignement du regard des autres qui facilite le tabagisme ou la prise d’alcool, notamment, mais aussi et surtout l’angoisse générée par la crise. Pourtant, il semblerait que la consommation d’alcool, déjà assez élevée en France, n’a pas augmenté de manière uniforme durant cette période. « Ce que disent toutes les études, c’est que les effets de la crise sanitaire sur les consommations de psychotropes, et donc d’alcool, sont très variables, explique Gladys Lutz, docteure en psychosociologie du travail et salariée de l’association Addiction Méditerranée. Les études conduites pendant et à la sortie du premier confinement montrent que 11 % des gens ont augmenté leur consommation d’alcool, mais le plus souvent ces personnes en consommaient déjà de manière conséquente. En revanche, ceux pour qui cette consommation correspondait à un moment festif, ritualisé, ont plutôt moins bu que d’ordinaire, en raison de la fermeture des restaurants et des bars. Et puis la grande majorité a bu autant tout en adaptant ses modalités de consommation. »
Bien évaluer les conditions du télétravail
Le terme « télétravail » recouvre des réalités très différentes selon les entreprises. « Ce terme est parfois abusif, souligne Gladys Lutz. Il serait plus juste de parler de travail à domicile, car normalement le télétravail est anticipé, discuté et encadré. Il doit faire l’objet de négociations avec les partenaires sociaux sur les moyens alloués, les horaires fixés, les modalités… Tout cela doit être discuté en amont et les contraintes spécifiques doivent aussi être pensées en amont, et régulées au fil de l’eau, collectivement. » Or la plupart des employeurs ont dû mettre en place le télétravail à marche forcée sans avoir pu y réfléchir au préalable. Beaucoup d’employés se sont ainsi retrouvés contraints d’exercer leur emploi depuis chez eux sans équipement adapté, sur un coin de table, avec parfois une connexion internet défaillante. « Cela peut générer du stress. Une des grandes difficultés repérées est l’isolement, les personnes se retrouvent seules face aux innombrables questions du travail quotidien », constate la spécialiste.
Évaluer les risques psychosociaux : une obligation de l’employeur
« Il faut penser cette question du travail à domicile dans la continuité, car le confinement souligne des problèmes déjà existants et la crise n’a fait qu’accentuer les difficultés », observe-t-elle. Le manque de soutien hiérarchique et la surcharge de travail, qui font partie de ce que l’on appelle les risques psychosociaux (RPS), sont en effet les raisons profondes du mal-être du salarié. Elles forment le terreau sur lequel peuvent se développer les usages à risque d’alcool, et de manière plus générale toute forme d’addiction. « L’alcool agit comme un antidouleur, un antidépresseur ou un anxiolytique », précise-t-elle, avant d’ajouter : « Les produits psychoactifs sont diaboliquement efficaces pour pallier individuellement le manque de ressources et de soutien qui devraient être organisés par l’entreprise. Ce sont de véritables béquilles chimiques. » Elle préconise donc de « revenir aux fondamentaux : l’entreprise a une obligation d’évaluation et de prévention des risques. Elle doit faire émerger les facteurs de RPS et de troubles musculosquelettiques (TMS), créer des espaces de discussion, même à distance, organiser ensuite le travail de façon qu’il ne contraigne pas les salariés à mobiliser leurs seules ressources. Enfin, orienter les personnes en souffrance vers le médecin du travail. »
Se faire aider
Pour évaluer son risque d’addiction, trouver une aide près de chez soi, témoigner ou discuter en ligne sur ses problèmes d’addiction, consultez les sites Addictaide.fr ou Alcool-info-service.fr.