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Ministère de la Justice

[Parole d'expert] Yoan Karar, secrétaire général adjoint de Force Ouvrière

Mardi 10 octobre 2023
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Yohan Karar parole d'expert baromètre justice 2022

Près de 7 agents sur 10 déclarent avoir été stressés par la crise sanitaire. Quel est votre regard sur ce résultat ?


Je ne suis pas surpris. Comme je le dis souvent, l’univers pénitentiaire est un microcosme de la société qui s’amplifie. Il est donc naturel que notre quotidien, professionnel et personnel, ait été bouleversé par la crise sanitaire, comme celui de millions de Français.

Au-delà, les surveillants ont été très exposés au stress en termes de santé-sécurité au travail et de gestion des conditions de détention. Pendant de longs mois, ils ont dû se rendre sur leur lieu de travail, la boule au ventre, sans moyens de protection – pas de masques, de gants ou de gel – soumis à la forte promiscuité qui caractérise les prisons, dans lesquelles, avec un surveillant pour 100 à 150 détenus, les gestes barrières sont impossibles.

Cette angoisse permanente s’est doublée d’une forte dégradation des conditions de détention. Privés de toute activité, sportive et professionnelle, et des visites de leurs proches, les détenus frustrés se sont montrés plus agressifs.

Dans quel contexte ces sources de stress sont-elles intervenues ?


Elles sont venues dégrader un quotidien déjà très difficile du fait du sous-effectif chronique. Seuls 18 % des candidats inscrits au concours de surveillant se déplacent le jour des épreuves.

Parmi les admis, 20 % partent durant leur formation initiale de 6 mois à l’École nationale de l’administration pénitentiaire et 20 % supplémentaires démissionnent dans les cinq premières années de leur vie professionnelle.

Les causes de cette désaffection sont connues : l’univers éprouvant des prisons, un manque de reconnaissance, un niveau de rémunération faible pour un métier fatigant, dangereux et contraignant.

Les nombreux week-ends travaillés, les vacances imposées génèrent de vives tensions sur la vie personnelle et familiale. À cela, s’ajoute une surcharge de travail permanente, conséquence logique du sous-effectif, avec un nombre très élevé d’heures supplémentaires, jusqu’à 90 par mois ! Les équilibres de vie s’en ressentent et les proches en pâtissent, avec des conséquences parfois désastreuses : divorce, tentative de suicide, mal endettement ou surendettement

Pendant la crise sanitaire, les surveillants ont été fortement exposés au stress tant en termes de santé-sécurité au travail que de dégradation des conditions de détention.

Certaines populations sont-elles encore plus exposées à ces facteurs de stress ?


Tous les surveillants sont soumis de la même manière aux facteurs de stress structurels, liés aux conditions d’exercice de leur métier et aux effets conjoncturels de la crise de la Covid-19.

J’aimerais toutefois évoquer les difficultés additionnelles spécifiques rencontrées par les managers et les jeunes. Soumis à de fortes exigences de résultats, les managers doivent faire toujours plus avec toujours moins de moyens.

Ils sont obligés de gérer l’urgence en permanence, sans jamais avoir le temps d’optimiser l’organisation des tâches, encore moins d’anticiper ! Quant aux jeunes collègues, leur formation a été abrégée et accélérée du fait de la crise sanitaire.

Elle s’est surtout déroulée en distanciel, souvent sans stages sur le terrain. Nous avons fait de notre mieux pour les accompagner, mais du fait du sous-effectif, le temps nous est compté et nous n’avons pas pu compenser ces lacunes.

Au moment du retour à la normale, pensez-vous que du bon puisse ressortir de la crise sanitaire, avec une meilleure prise en compte des aspirations des agents ?


Le constat qu’il faut changer les choses en profondeur pour rendre le métier de surveillant plus attractif est largement partagé. Au-delà de la rémunération, qu’il ne faut bien sûr pas occulter, il s’agit de penser et d’organiser l’évolution du métier vers des missions plus diversifiées.

Le personnel pénitentiaire assure déjà l’extraction judiciaire et se voit maintenant confier la réinsertion du détenu ou le suivi de sa probation. Fortement attendu, cet enrichissement du métier permet de mieux valoriser notre rôle de technicien de l’humain.

Il reste à apporter une réponse dimensionnée en termes de moyens matériels et humains. C’est ce que nous attendons à la suite des négociations prenant place lors des États généraux de la justice.

  • Surveillant pénitentiaire depuis 2006
  • Rejoint le syndicat national pénitentiaire (SNP) de Force ouvrière en mai 2013
  • Secrétaire général adjoint du SNP de Force ouvrière en août 2017
  • Secrétaire général adjoint du syndicat FO Justice depuis octobre 2021