[Parole d'expert] Robert Chiche, Président de Territoria Mutuelle et de l'UGM Aésio Fonctions publiques
Moins d'un agent du ministère de la Justice sur deux déclare qu'il penserait à contacter sa mutuelle s'il était touché par une problématique santé. Que pensez-vous de ce résultat ?
Je ne suis pas surpris. Les campagnes de prévention portent la plupart du temps sur des sujets de santé publique, comme le tabac par exemple. Ces thèmes sont importants bien sûr, mais ne touchent pas à la santé au travail, encore moins à la qualité de vie au travail. Pourtant, quand on sait que 70% des arrêts de travail sont liés aux troubles musculo-squelettiques (TMS) et aux risques psychosociaux, qui touchent à l'organisation même du travail, on ne peut que constater l'importance de la chose !
Or la santé au travail fait encore trop souvent, y compris de la part des acteurs mutualistes, l'objet d'une approche uniquement individuelle et comportementale alors même qu'elle questionne notre capacité collective à comprendre les risques professionnels dans toutes leurs dimensions : professionnelle, managériale et organisationnelle.
Quelles sont les pistes pour renforcer la relation des agents avec leur mutuelle, en particulier sur ces sujets de prévention ?
La santé au travail doit être abordée de manière globale et intégrée, sous toutes ses facettes, à la fois physique, mentale et sociale. C’est animée par cette conviction que l’UGM AESIO Fonctions publiques a initiée, avec le cabinet Mozart Consulting, dédié à la valorisation du capital humain, filiale de Territoria Mutuelle, une méthode qui a déjà fait ses preuves dans les collectivités territoriales visant à cerner les besoins réels de prévention des agents.
Nous avons ainsi mis en place le premier système de mesure du bien-être au travail : « l’indice de bien-être au travail » (IBET ©). Il permet de définir ce qui est constatable et mesurable afin d’établir une cartographie statistique et sectorielle de l’engagement, révélateur de performance sociale. Autrement dit, grâce à cet outil, nous disposons des datas nécessaires pour identifier toutes les informations concernant les déterminants de la santé au travail et les désengagements constatés, générateurs d’absentéisme et de démotivation.
La France n'a pas encore comblé son retard en matière de prévention. Comment les mutuelles peuvent-elles faire avancer ce sujet important ?
En dépit des progrès réalisés, la prévention n'est pas encore considérée comme un sujet essentiel dans notre pays. Elle s'assimile trop souvent à un supplément d'âme. La conséquence est que les budgets qui lui sont affectés sont notoirement insuffisants.
Les mutuelles doivent sortir du rôle de payeur aveugle, qui leur était traditionnellement dévolu, pour devenir un acteur de prévention à part entière.
Pour relever le défi de la prévention, nous, acteurs mutualistes, devons privilégier la compréhension du "pourquoi" avant de mettre en œuvre le "comment". Au sein de l'UGM Aesio Fonctions publiques, nous disposons, avec l'IBET, d'un outil objectif de pilotage de la performance, dressant un état des lieux chiffré de la motivation intrinsèque des agents par catégories et par métiers, pour cerner le pourquoi.
Cette base objectivée nous permet de mettre en place une démarche d'écoute auprès des populations au cours de laquelle tous les sujets sont abordés, y compris ceux touchant au management et à l'organisation du travail. Nous en déduisons un plan d'action contextualisé avec des initiatives ciblées qui répondent aux besoins réels remontés.
Les adhérents plus jeunes et davantage en souffrance au travail – comme les agents de l'administration pénitentiaire – mettent trop souvent leur santé de côté. Quelles actions de prévention spécifiques mener vers ces publics ?
Sans me prononcer sur la catégorie professionnelle particulière des agents de l’administration pénitentiaire, j’observe que cette question concerne l’ensemble des jeunes agents, moins conscients de la nécessité de protéger leur santé et donc moins réceptifs aux campagnes de prévention. Au-delà, nous devons être bien conscients que cette question concerne également, j’ai envie de dire avant tout, leur management qui a tout son rôle à jouer sur les sujets de qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). Ce n’est pas un hasard si cet acronyme a remplacé la qualité de vie au travail (QVT) dans le Code du travail en avril 2022.
Chacun s’accorde désormais sur la nécessité de mettre en place des actions qui ont un effet concret et bénéfique tant pour les salariés que pour l’entreprise. Face à ce constat, les approches intégrées s’imposent, à l’instar de notre démarche IBET, avec un préalable indispensable : disposer d’un instrument de mesure. En effet, on ne peut améliorer dans la durée que ce que l’on peut mesurer !
- Directeur général adjoint à la Mairie de Niort de 1978 à 1998
- Conseiller du président, Directeur général puis Président du Directoire de Smacl Assurances de 1998 à 2008
- Président du Conseil de surveillance de Mozart Consulting depuis septembre 2020.
- Président de Territoria Mutuelle depuis 2006 et de l'Union de groupe mutualiste (UGM) Aésio Fonctions publiques depuis 2021